6 juillet. Cela fait 3 semaines que je suis sortie de l’hôpital psychiatrique. Ce midi j’ai déjeuné avec une copine, la seule qui ait continué à venir me voir pendant ma maladie. Qui prenait des nouvelles, et qui passait même quand je ne lui adressais quasiment pas la parole. Quand j’étais murée dans mon silence et mon refus des autres. Quand ma vie était un cauchemar quotidien, et que je ne savais pas comment faire pour m’en sortir. Quand ma famille était perçue comme « les autres », ceux qui me voulaient du mal et qui m’avaient enlevé ma fille.
Car depuis décembre, ma fille avait été placée chez ma sœur. Aujourd’hui je réalise que c’était la meilleure option pour elle, plutôt que cette mère qui vivait en recluse, ne parlait plus a personne, et vivait chaque interaction avec l’autre comme un combat. Et chapeau à ma frangine, qui a accueilli sa nièce et a été une super maman pour elle, en l’intégrant à sa famille du jour au lendemain. Mais quelle douleur de perdre ma fille chérie, le trésor de ma vie. Quelle peine de ne plus la voir chaque jour, de ne plus être celle qui prend soin d’elle. Et sans pouvoir demander de ses nouvelles, puisque je ne parlais plus à personne. Et sans me rendre compte que je perdais de plus en plus pied, loin de la réalité courante et commune. Murée dans ma réalité. Affectée par une maladie psychiatrique dont on guérit, mais qui semble un gouffre insondable pour ceux qui la vivent, de l’intérieur comme de l’extérieur.
Je ne sais pas comment cela a commencé. On parle de déclencheur, de circonstances. Sûrement. On pourrait faire une liste. A quoi bon. Quelle somme de stress a fait déborder la marmite, je ne sais pas. A quel moment j’aurai du arrêter de gérer le stress des autres pour me focaliser sur le mien. A quel moment mon stress est devenu maladie. Quelqu’un qui a le palu, est ce qu’on lui demande quand il s’est fait piquer exactement, et par combien de moustiques. Au fond, cela n’a pas vraiment d’importance, simplement il a le palu. Et il faut le soigner. Pour une grosse crise il fera peut être un séjour à l’hôpital, et en ressortira convalescent. Difficile d’imaginer cette guérison quand il transpire et tremble, et pourtant elle est au bout du tunnel. Et bien une maladie psychiatrique, c’est un peu pareil. Selon les personnes, et l’environnement, cela peut prendre plus ou moins de temps. Mais ce qui compte c’est le chemin, pour aller vers le bout. Faire baisser la marmite qui bout, se reposer, pour revenir à un état que le corps estime supportable.
Je suis sortie de l’hôpital donc.
On se fait beaucoup d’idées sur l’hôpital psychiatrique. Oui il y a des gens gravement atteints, et il y a aussi des malades plus légers. Mais pour tous les journées sont les mêmes: lever à 6h30, prise de médicaments et petit déjeuner, matinée libre jusqu’au déjeuner, après midi libre jusqu’au dîner. Et selon l’état de chacun, la grande question pour les malades légers est que faire de ce temps libre. Certains, selon leur médication, feront des grosses siestes. Cela a le mérite d’occuper une partie du temps. Posséder une radio a pour moi fait une grosse différence. Ma famille m’a aussi amené des jeux de société, à partager avec les autres malades ou avec ma maman d’hôpital. Tous n’ont pas fait l’unanimité, mais certains ont remporté un franc succès. Quelle que soit l’activité, l’ennui est l’ennemi à combattre et tout moment qui lui est arraché est un moment de gagné.
Dans cet endroit, « faire le vide » est une réalité. En venant d’une société hyperconnectée, on ne se rend pas compte de ce que pourrait être un quotidien sans portable, sans emails, sans communication avec l’extérieur, sans télévision. Sans Facebook. Un quotidien rythmé par des repas et des prises de médicaments. Et rien d’autre. Le cadre idéal pour mettre en application les cours de meditation, et travailler sur son zen. Ou alors se taper la tête contre les murs. Laisser l’ennui devenir une source de stress, ou lui permettre de faire son office. Dans la maladie psychiatrique, le stress, c’est l’ennemi. Tout ce qui peut être source de stress est à éviter, relativiser, regarder sous un autre angle. Attendre sa sortie avec impatience peut être une source de stress, il vaut mieux apprendre à se détacher. Se détacher des jours, se détacher des heures. Se détacher du temps qui passe. Se détacher de tout, et tout relativiser. À l’hôpital psychiatrique, celui qui ressort convalescent a progressé dans le zen. Dans le lien a l’autre aussi, qu’il a appris à regarder profondément et avec bienveillance. L’autre. Les autres.
Dans les autres, il y a par exemple G. Hospitalisée sans famille à mes côtés pour s’occuper de moi dans le quotidien, G. est ma « maman d’hôpital ». Elle ne dort pas dans ma chambre, mais est présente dès le réveil et a l’œil à tout. Rien ne lui échappe, et au fil des années elle a appris à vite évaluer ses patients. Ceux qui se cachent pour aller fumer une cigarette derrière le bâtiment. Ceux qui font semblant de prendre les médicaments. Ceux qui râlent pour tout, ne coopèrent pas et « vont durer ici », elle sait les reconnaître tous au premier coup d’œil. Et elle a vite vu que je n’allais pas lui donner beaucoup de travail, tranquille comme j’étais.
G. assiste des patients depuis 6 ans. Elle est maman solo de 4 enfants, et joint difficilement les 2 bouts. À l’hôpital, elle est payée à la journée par les familles quand elle a un malade à assister, ce qui n’est pas tout le temps. Le reste du temps, elle essaye de trouver autre chose, sans toujours beaucoup de succès. Il faut pourtant bien payer le loyer et l’école des enfants. La journée son travail consiste à s’assurer que je prends bien mes médicaments, mange mes repas, me faire des courses si j’ai besoin de quoi que ce soit à l’extérieur, de la nourriture ou une éponge pour faire la vaisselle. Elle s’occupe aussi du ménage de ma chambre, et solutionne la moindre difficulté qui pourrait survenir. Elle m’a permis, dans un cadre non volontaire et a priori pas très agréable, d’avoir un séjour le plus positif possible.
Je suis logée à la clinique de l’hôpital. Cela signifie que je bénéficie d’une chambre privative avec douche. Les autres malades sont soit au pavillon des femmes, soit à celui des hommes, où les douches et parfois les chambres sont partagées. G. assiste indifféremment des personnes à la clinique ou au pavillon, selon l’aide nécessaire.
D’autres occupent le même poste que G., avec d’autres malades. Et selon les malades, l’expérience peut être différente. C. par exemple. Avec ses longues dreadlocks et son sourire chaleureux, c’est le chouchou du pavillon des femmes. Il s’occupe bénévolement d’une femme gravement atteinte. La plupart du temps, elle déambule en délirant. Du coup, le travail de C. avec elle est un peu plus musclé. Il doit la suivre dans ses déambulations, la ramener régulièrement vers le pavillon. Les médecins cherchent encore à ajuster son traitement, parfois cela fonctionne et elle est calme, d’autre pas du tout et elle peut être très agitée. Cela dépend des jours...
Ces assistants de malades, payés ou bénévoles, ont un point commun: ils ne sont pas nourris par l’hôpital. L’institutions ne prend en charge que les patients internés, leurs accompagnants doivent se débrouiller par eux mêmes. Heureusement, il y a toujours des malades lassés de l’ordinaire de l’hôpital qui mangent de la nourriture extérieure, faisant don de leur gamelle aux accompagnants. Dans cet espace, la notion de nourriture en trop n’existe pas, il y a toujours une personne heureuse de récupérer une gamelle de repas.
La chambre à côté de la mienne héberge un quinquagénaire souriant, qui n’a pas de maman d’hôpital. Il se gère bien tout seul, et reçoit chaque jour de la nourriture de sa maison, amenée sur le coup des 11h30 par son chauffeur. Il ne mange que cela, et fait des heureux avec sa gamelle non réclamée. Il est aussi le seul à posséder un ordinateur portable, et passe la journée à écouter de la musique classique ou des podcasts. Il est heureusement accueillant et partageur, et je peux ainsi bénéficier de quelques échappées mentales sur une émission de BFM business, les nouvelles de RFI, ou sur un concerto de musique baroque. Quelques jours après son départ, ma mère me trouvera un poste de radio avec clé usb, et il aura la gentillesse de me faire parvenir depuis chez lui une sélection de musique classique à écouter pour égayer mes journées.
Et puis les infirmiers. Nous avons tous nos préférés, ceux dont on guette les jours de permanence. Ceux qui discutent, ceux qui rassurent. Pour tous, c’est la même question: quand vais je sortir. Bien sûr les réponses sont à chaque fois positives, sans que cela n’influe le moins du monde l’avis du médecin lors de sa tournée bi-hebdomadaire.
J’ai mentionné le stress, comme facteur de maladie. Certains se rendent plus malades à attendre la sortie. Ils se focalisent sur une date, ne pensent qu’à cela, passent leur journée à attendre la visite du médecin, et en étant obnubilé de cette façon aggravent leur état. Repoussant ainsi la date de la dite sortie, où rapprochant celle du prochain séjour. J’ai vu une jeune fille se rendre littéralement malade à attendre de manière compulsive sa sortie, et elle n’est malheureusement pas la seule dans ce cas. Encore une fois, à l’hôpital la clé c’est de rester zen, quelle que soit la situation.
Et c’est ce que m’a appris ce séjour hospitalier. Rester calme, écouter encore plus que je ne le faisais avant, et tout relativiser. Prendre les choses en positif, et en tous temps, combattre le stress. Le votre ne vous mènera peut être pas à l’hôpital psychiatrique, mais il a des effets sur votre pression artérielle, sur votre cœur, sur votre façon de penser et de voir les choses... Gérer son stress de façon efficace devrait être une priorité de santé publique. Et se souvenir que nous pouvons tous passer par une maladie psychiatrique, on en guérit et la vie continue.